C’est une aventure qui commence par hasard. Nicolas Hulot croise René Metge à Chamonix. Autour d’un café, tous deux, ils évoquent le record du monde des frères Marreau sur ‘’Le Cap-Alger’. Bernard et Claude détenaient le record du monde à bord d’une R12 Gordini ,depuis le mois de novembre 1971. Un Le Cap-Alger en seulement huit jours. Bien entendu, ce véhicule rappelle à René de bons souvenirs, puisqu’il avait remporté la Coupe de France R12 Gordini, en 1972.
Au fil de la conversation, les deux compères se disent pourquoi ne pas faire mieux ? Il n’en fallait pas plus pour que René Metge, y réfléchisse. Il savait que Thierry Reverchon y pensait aussi, depuis plusieurs années. Quelques jours plus tard, René Thierry et Nicolas se retrouvent pour se pencher sur les cartes d’Afrique. Comment traverser ces contrées hostiles et dangereuses, à tout point de vue ? Plus ils dépliaient les cartes, plus ils se rendaient compte de la difficulté. 14 000 kms de galères, pour une aventure sans pareil. Certes, l’automobile a toujours porté en elle une part de liberté, de rêve et d’aventure.
Effectivement, la performance et la vitesse firent beaucoup pour les passionnés à travers la compétition en Rallyes-Raids, mais l’intérêt était, cette fois, ailleurs. À cette époque, l’aventure avec un grand A était aussi un outil promotionnel pour les entreprises, combinant la condition physique et la capacité à conduire en Tout Terrain, dans des endroits les plus retirés de la planète.
Reverchon, Metge, Hulot, Baudry, Giroux, Hurpoil.
Une équipe de choc.
Thierry Reverchon était un ‘’réputé conducteur de poids lourd Africain‘’. Il était enthousiasmé à l’idée de partir pour relever le défi d’un parcours de quatorze mille kilomètres, de pistes en tous genres. L’histoire de Thierry Reverchon est celle d’un aventurier des temps modernes, qui avait déjà sillonné toutes les routes du monde, en long et en large. Pour René, Nicolas et Thierry, il leur fallait trouver un autre équipage de trois avec de l’expérience sportive et médiatique à la fois. Ils devaient aussi avoir une résistance mentale d’un sportif de haut niveau. Voilà comment, Bernard Giroux, Patrick Baudry, et Jérôme Hurpoil allaient être du voyage. Les cinq autres participants étaient conscients que l’expérience de René Metge, apporterait, au sein des deux équipes, le savoir-faire pour passer des franchissements ardus dans cette moiteur tropicale. Ils savaient aussi qu’il fallait avoir une bonne connaissance du terrain Africain. René et Thierry l’avaient. Lors de leur première réunion, Thierry disait « Pour obtenir un passeport auprès des Africains, il faut-être gros, cela signifie que tu manges bien, donc, tu es riche, donc puissant et respectable. De plus, comme ils ont le culte du vieillard, ma barbe blanche les rassure ! ». Après ce discours réconfortant, il restait à évoquer les pluies torrentielles qui étaient annoncées à la croisée des chemins. René avait la lourde tâche d’étudier toutes les cartes qui traversaient treize passages de frontières, et aussi, vingt-six postes de douanes. Plus il dépliait les cartes, plus il mesurait la difficulté.
Une chose était sûre, les six baroudeurs étaient persuadés que le record du monde des frères Marreau, pouvait tomber entre les mains. Deux équipages, avec trois pilotes sur deux 504 4×4 Dangel prototype V6 PRV, seraient la clef de la réussite. Finalement, Thierry Reverchon décide de partir seul pour faire les premières recos. Cet homme était capable de tout. Pour la petite histoire, en Tanzanie il avait été retardé quinze heures à cause d’une panne d’allumage. Les énormes moustiques étaient au rendez-vous, mais pas seulement. Plusieurs lions rôdaient autour de lui. Un soir, alors qu’il était couché sur le moteur de son véhicule pour changer les bougies, une lionne et ses petits s’amusaient ! à tourner autour de lui, tous crocs dehors. Pas très loin, les mâles commençaient à rugir de plaisir du futur festin à la sauce ‘’Reverchon !’’ Finalement, les gros Mistigri, sont allés à la recherche d’une autre proie « Je n’ai jamais autant transpiré de ma vie ».
Pendant ce temps à Paris, il avait été décidé que dans le Dangel bleu, il y aurait Réné Metge, Nicolas Hulot et Patrick Baudry. Dans l’autre Dangel blanc, Thierry Reverchon, Bernard Giroux et Jérôme Hurpoil. Deux équipages de trois avec des caractères bien trempés, capables de relever le défi des frères Marreau, surnommés « Les Renards du Désert ». Si les frères Marreau avaient pu éviter le Zaïre en passant par l’Ouganda, eux voulaient passer par le Zaïre, le Tchad et le Nigéria, à cause des pluies torrentielles de cette période. Un parcours qui avait été minutieusement préparé et entièrement revisité en reconnaissance sur quatorze mille kilomètres, par Thierry Reverchon. De plus, ils avaient décroché un soutien financier de la GMF. Les préparatifs terminés, l’heure était venue de se jeter dans la gueule du loup !
Vol, Orly Le Cap, c’est parti.
À peine arrivé en Afrique du Sud, les autorités annoncent aux baroudeurs que des pluies diluviennes s’abattent sur le Zaïre et que les pistes devenaient impraticables « Annulez-tout, vous ne passerez pas !». Comme ils étaient habitués à ce genre de catastrophe, ils se disaient « Plus ça bouge, meilleur, c’est ». René Metge savait que lorsqu’un camion de bananiers s’enfonce dans les ornières boueuses en plein milieu de la piste, il bloque systématiquement le passage pendant des heures. Dans ce cas extrême, un chauffeur était capable d’attendre la saison sèche pour s’en sortir. Mais pour eux six, il n’était pas question de reporter l’expédition en janvier, car René devait rentrer à Paris pour prendre le départ du Paris-Alger-Dakar, avec sa Porsche Rothmans, avant le 25 décembre. Quant à Patrick Baudry, il avait un show TV à Ryad. Le deuxième problème rencontré provenait d’une nouvelle annonce des autorités qui avait décidé de retarder notre départ de quinze jours, suite à un embouteillage de 1200 éléphants qui avaient pris possession de la seule piste praticable, au Botswana. Qu’à cela ne tienne, ils étaient tout de même prêts à affronter les plus grosses galères en terre d’Afrique Tropicale.
Comme des explorateurs avançant en « terre inconnue », ils ne pouvaient compter que sur eux pour résoudre les problèmes.
Dès le départ, le Dangel de René ouvre la route devant sur les mille premiers kilomètres d’asphalte sud-Africain, avant de trouver les premières pistes. Ensuite, ils trouvent la première piste défoncée avec une accumulation de difficultés qui traversent les corps et les deux véhicules. Il faut des heures et des heures pour faire quelques kilomètres. Parfois, ils étaient obligés de couper des arbres pour se frayer un passage. Pour corser le tout, des hordes de moustiques venaient les empaler. Patrick Baudry avait vite réalisé que cette excursion n’avait rien d’une promenade de santé. Pourtant, il était habitué à s’entraîner dur pour naviguer dans l’espace. De plus, les nerfs étaient déjà à vif lors du passage de la première frontière. Avant le départ, ils étaient tous d’accord pour franchir des montagnes, mais certainement pas pour rester plusieurs heures sur place, attendant qu’un douanier décide de lever cette pu…de barrière. En même temps, c’est bien connu, le temps ne compte pas, en Afrique.
À M’Bala, au sud du lac Tanganyika un des deux Dangel s’enfonce dans le sable, jusqu’aux portes. Cela rappelait les passages de dunes en Mauritanie sur le Paris-Alger-Dakar. Puis, ils atteignent la forêt tropicale du Burundi. Un climat humide, avec une horde de moustiques qui étaient assoiffés de sang humain. Au passage de la frontière du Zaïre, Thierry Reverchon qui avait tout prévu s’aperçoit que son VISA est périmé depuis vingt heures. Panique à bord ! Une fois réglée à l’Africaine ! Ils repartent de plus belle sous les saluts des policiers et de leurs gyrophares. Finalement, chaque pays traversé avait son lot de surprises. Bourbiers gigantesques, des moustiques qui ressemblent à des dragons, des pistes infernales, une humidité inimaginable, un manque flagrant de sommeil, et des pièces mécaniques qu’ils devaient changer dans la boue ou dans l’eau… Voilà, la panoplie parfaite du baroudeur des années 1985.
Mais face à l’adversité, ils ne lâchaient rien. Pendant que deux pilotes roulaient en poste avancé, les autres dormaient sur les réservoirs. Du moins il essayait de dormir, malgré le balancement des Dangel qui tiraient des bords, comme des vrais marins. Thierry Reverchon avait prévenu tout le monde « Les gars, on va en chier ! comme jamais ». Il avait raison le bougre ! Un record du monde, ça se mérite, car tous savaient que l’enfer veut dire, parfois, solitude.
C’est la dure réalité, de la piste.
En Tanzanie, l’embrayage d’un des deux Dangel rend l’âme. Heureusement que lors des reconnaissances, Thierry avait noté qu’un village était à proximité et qu’il y avait une fosse. Mais voilà, arrivé sur place, René comprend vite que la réparation allait être délicate, car la fosse était pleine de Gazole et un mélange d’eau qui faisait mayonnaise. Mais aussi avec des milliers de moustiques qui gardaient soigneusement la forteresse ! Finalement, René a fini par prendre sa respiration pour se coucher dans cette fosse aux diables, pour changer l’embrayage. Des moments forts que personne ne peut oublier. Dans la ‘’pampa’’, on ne triche pas, on ne ment pas, parce que la remise en question est permanente à chaque croisée des chemins. La Traversée du Zaïre ne fut pas non plus de tout repos. Un Dangel s’arrête brutalement avec le pont arrière en vrac. Là aussi la manip semblait délicate puisqu’ils étaient en pleins milieux de profondes ornières. Encore une fois, Thierry Reverchon avait tout prévu, il y avait un pont d’avance à l’arrière d’un véhicule. Il est certain que d’ordinaire changer un pont faisait partie de mes anecdotes du Paris-Alger-Dakar, mais l’environnement ne facilitait pas la tâche. Une fois repartis, les passages de fleuves se faisaient uniquement par bac, à coups de porte-clés siffleurs pour détendre l’atmosphère.
Après trois jours de folies dans cette jungle, la fatigue commençait vraiment à se faire sentir sur leurs gestes. Ils étaient moins précis, les mains gonflées d’ampoules à force de serrer le volant, leurs chaussures nageaient dans une épaisse boue gluante. D’ailleurs, la définition du Docteur Olivier Aubry était claire « Les meilleurs raiders n’ont pas de prédisposition génétique à l’effort. Mais ils bénéficient d’une résistance à la souffrance hors du commun, forgée par l’entraînement sur le terrain et l’expérience des difficultés rencontrées».
Plus le temps passait, plus l’incohérence prenait le pas sur la lucidité, à tel point qu’à un moment Thierry n’a pas pu éviter une grosse Oie, qui prenait son envol, le long de la vitre de son Dangel. La sentence fut immédiate, le pare-brise a volé en éclat, façon puzzle ! Du coup, il a continué le périple sans pare-brise, l’obligeant ainsi à rouler devant dans les bourbiers, pour se frayer un passage plus rapide, néanmoins plus dangereux, qui pouvait à tout instant, virer au cauchemar. Les Dangel chaloupaient entre les énormes crevasses et ornières. C’est justement là que la part invisible peut se cacher entre le défi et le mystère d’une faune impitoyable.
À Bondo-Bangassou, en centre Afrique, ils avaient traversé cinquante cours d’eau, sans pont, ni bac. Une fois passés ces obstacles, ils étaient pratiquement dans le même temps que les frères Marreau. Du coup, les petites engueulades, les petits bobos, la chaleur humide n’avaient plus d’importance. Pendant plus de 1 500 kms, les Dangel voltigeaient entre une marée de spectateurs prévenus de notre passage, qui hurlaient de plus belle « Ne vous retournez pas les gars, foncez, foncez ». La traversée du Tchad fut aussi épique. Énormément de sable fin attendait les aventuriers. Sur ce sol, René Metge retrouve rapidement ses réflexes dans cette immensité blanchâtre. Du fait de la fatigue accumulée, parfois, les paupières devenaient de plus en plus lourdes dans cet endroit du diable, avant de retrouver des pistes un peu plus roulantes au Niger. Au poste frontalier, les deux véhicules resteront soixante minutes sur place, parce que le chef douanier devait terminer sa toilette du matin. Malheureusement, les heures passaient et à Zinder, les deux Dangel comptaient déjà vingt heures de retard sur les frères Marreau. Le moral était dans les chaussettes ! en plus, ils allaient devoir assumer la plus grande partie de la conduite dans des endroits apocalyptiques. Heureusement qu’Agadès n’était plus très loin. Ils allaient pouvoir prendre enfin une bonne douche et retrouver leur copain, Mano Dayak. Une commune désertique dans laquelle vivent les Touaregs vêtus de bleu indigo, à quelques encablures de l’Algérie, non loin d’Arlit au Nord du Niger.
L’expérience du Coitus-Interruptus !
« Tout ce qui peut mal tourner, va mal tourner ! »
Cette annonce de Mano a été le coup de grâce pour eux. Tout ça pour ça ! K.O debout, ils n’avaient pas d’autre choix que de jeter l’éponge au coin du Ring ! Ce qu’il faut retenir de cette expédition, c’est que tous leurs souvenirs sont devenus leurs propres forces, pour les prochains défis qu’ils allaient réaliser plus tard, chacun de leur côté « De cette aventure, nous avons connu aux heures de miracle une certaine qualité des relations humaines. Là est pour nous, la vérité ». Antoine de St Exupéry.
La cabane est tombée sur le chien ! À peine descendu des Dangel, Mano Dayak leur annonce que l’Algérie nous refuse le passage, parce qu’ils venaient de Pretoria. René se dit « Quel regret d’être passé par là ». En fait, il fallait passer par In Salah ou Sawaka, car une fois en Algérie, les douaniers ne contrôlent plus personne.
Aujourd’hui, qui tentera de détrôner le record du monde des frères Marreau ?