Après quarante Dakar au compteur, force est de constater que la longévité maintient en forme. C’est le nombre de participations de celui que l’on nomme ‘’L’inoxydable Monsieur Dakar ‘’. Son nom, Étienne Smulevici, la »Smul » pour les intimes. Enfant, dans le berceau, le petit Etienne prenait le volant à la place de sa mère pour diriger son propre berceau. À l’âge de sept ans, il disait dans la cour de récréation à qui voulait bien l’entendre « Lorsque je serai grand, je traverserai le Sahara en long et en large ». Son futur métier était donc tout tracé. Il voulait devenir pilote de course. Le hasard fit bien les choses, puisqu’à Noël 1954, il trouve sous le sapin sa première voiture à pédales. Il n’en fallait pas moins pour que le jeune garçon se voie pilote de course. À moi, l’aventure, à moi le sable et les comtes d’Antoine de Saint-Exupéry. Plus tard, il rencontre à l’âge de 17 ans Claude-Agnès, qui deviendra son épouse. Ça tombe bien, Claude-Agnès aime le sport mécanique. Avec ses économies, Etienne s’achète en 1976 une Jaguar type E, afin de ressentir la vitesse d’un bolide équipé d’un douze cylindres. Épouse modèle, elle l’encourage à poursuivre son rêve d’enfant. Ce passage est important, car sans un soutien inconsidéré, un homme, quel qu’il soit, ne pourrait pas réaliser ses rêves, si sa compagne ne partage pas les mêmes envies. Claude-Agnès est plutôt administrative. C’est ainsi qu’elle deviendra la gardienne des comptes de la société, pour faire chauffer la marmite ! De cette manière, les rôles étaient bien déterminés, dès le départ.
Qui n’a pas entendu parler de Monsieur Dakar dans les alcôves ? Si on s’intéresse de près ou de loin au sport mécanique, on ne peut passer à côté, sans entendre << C’est lui, l’inoxydable, l’infatigable, l’inusable, Etienne Smulevici. Celui qui moralement et physiquement dépasse la moyenne générale sur cette épreuve, qui est considérée comme la plus difficile et la plus dangereuse au monde ? >>. Comme Jean-Claude Bertrand et Thierry Sabine, Etienne Smulevici a fait rêver des milliers d’aficionados lorsqu’ils regardaient au bord de la RN 20 le départ du Paris-Dakar, le jour du Nouvel An. L’histoire débute en 1978. Thierry Sabine crée l’épreuve. Une course auto/moto à travers l’Afrique.
Lorsque les premiers concurrents du Paris-Dakar s’élançent de la Place du Trocadéro à bride abattue pour traverser la France, pour ensuite, embarquer pour Alger, il faisait un froid de canard ! Sur cette première édition, tout le monde devait subvenir à ses propres besoins ‘’Une fois au bivouac, les concurrents partaient à la chasse, munie de lance et de flèches pour abattre du gibier, et des fauves ! pour passer à table !’’. C’est une blague. En fait, ils se nourrissaient de fruits secs et de barres de céréales, car, il n’y avait pas de restauration sur place. Tout était à la bonne franquette comme la construction de la toile d’un cirque forain ! Sur place, il n’y avait que des bidons d’essence et de l’eau à boire, et un seau d’eau par personne pour se laver. Pas de quoi décourager le jeune Etienne. Toujours attiré par l’appel du désert, il se rend le 31 décembre 1982 pour admirer les valeureux guerriers, Place de la Concorde. Les yeux d’Etienne Smulevici scintillent au rythme des flashs des photographes. Puis, c’est la chair de poule qui envahit tout son corps, lorsque Jacky Ickx et Claude Brasseur montent sur le podium, installé au milieu de la foule, il leur lance « L’année prochaine, c’est moi qu’ils applaudiront ! ». Voilà comment un gamin qui conduisait sa poussette, il y a encore quelques années, se retrouve au départ du Paris-Alger-Dakar 1983, avec Daniel Guarato, qui lui détenait un Pick-up 504 Dangel, tout équipé.
Dakar, nous voilà !
Plein sud. Cette fois, c’est parti pour de nombreuses années d’aventures. Comme toutes celles et ceux qui ont couru sur le Paris-Dakar ou sur le Dakar, ils savent que cette épreuve est remplie de joies, de peines, mais aussi, de larmes. Pour passer le ligne d’arrivée, il faut avoir un moral d’acier et une condition physique hors du commun pour encaisser toutes ces épreuves, parfois inhumaines. Le jeune Etienne Smulevici sait que son rêve peut se briser à tout moment sur ce parcours long de 11 000 kms. Dans le Sahara, il se retrouve face à des éléments qu’il ne connaissait pas. Du fesh-fesh, des dunes, des oueds, des pistes cachées drapées par le sable, des CP (contrôle de passage), à trouver au milieu de nulle part, des traversées de villages inconnues, des animaux dangereux, de l’eau imbuvable, des mal de ventre, des chaleurs écrasantes et des courbatures. Indiana Jones est un petit garçon, à côté !
Lors de son briefing, Thierry Sabine avait toujours la formule pour mettre les chocottes aux pilotes « Ce que vous avez vécu aujourd’hui n’était qu’un petit radis dans la salade. L’étape de demain, que vous allez vivre dans le Ténéré qui est encore plus dangereux, maintenant, nous allons monter d’un cran ! sur cette étape de plus de 1 000 kms. Mais, je vous rassure, la prochaine ne fera que 950 kms, vous pourrez souffler ! ». Il était un peu moqueur. Tout ceci n’était pas vraiment encourageant pour la caravane. Malgré tout, Etienne et Daniel Guarato termineront leur première participation à la 39e place, au classement général. Ickx / Brasseur remportent cette édition sur Mercedes. La même année, Etienne enchaîne sur le Rallye d’Islande, et gagne son groupe.
Puis, il revient sur le Paris-Dakar en 84. À partir de cette date, on retrouve l’ami Etienne dans les plus épreuves internationales :
Rallye du Maroc, Rallye de Tunisie, Paris-le-Cap, Dakar Le Caire, Australien Safari, Rallye des Pharaons, Rallye de Tunisie, U.A.E Désert Challenge, Rallye d’Algérie, Rallye de Hongrie, Rallye de Pologne, Rallye Transalgarve, Baja Italienne, Espagnole, Rallye du Portugal, Paris-Moscou-Pékin 92, Rallye d’Algérie, Master Rallye, Rallye du Maroc, Rallye d’Égypte, Notthem Forest, 24 Heures Tout Terrain de France, 24 heures du Portugal et de Paris, 24 heures du Nürburgring, 24 Heures du Maroc, 24 heures de Karting, Montée de l’Olympe, Trophée Andros, Championnat de France TT et d’Endurance.
Ses copilotes
L’inoxydable pilote a eu la chance d’emmener avec lui de très bons copilotes : Daniel Guarato, Jean-Claude Falaise, Hervé Cotel, Philippe Rey, son frère Alain Smulevici, Claude-Agnès Smulevici, Serge Serreau, Charles Cuypers, François Chatriot, Daniel Destieu, Philippe Diolese, François, Dzimira Xavier Tancogne, Jean-Louis Tritschler, Gérard Michon, Bernard Pux, Jacques Salognon, Alain Brousse, Luc Véchot, Yves Truelle, Martial Pautrat, Jérôme Kohut, Pascal Gambillon, Sylvain Poncet, Gilles Tixador, William Wood, Jean-Jacques Martinez. Par équipe, il remporte les 24 Heures TT de Paris en 2005 avec Jean-Claude Chervier, Benoît et Vincent Vincendeau, sur Buggy Renault Scenic.
Mais aussi, avec des personnalités qui n’avaient pas de lien avec le sport automobile : Michel Hidalgo, Raymond Kopa, Yves Saint-Martin et Gérard Lenorman. Des copilotes qui n’étaient pas vraiment vaccinés contre la Dakarite ! Finalement, pas besoin de vaccin pour trouver l’adrénaline et la frayeur qu’ils étaient venus chercher, au plus profond d’eux-mêmes. Comme le Skypper Phillipe Monet, devenu copilote pour des grands pilotes, les coéquipiers d’Etienne parlaient souvent de la dangerosité de la mer, sans penser une seconde que le désert était tout aussi dangereux ? Alors, qu’en était-il du désert ? « Le désert, c’est pour nous, nomades une passion profonde et absolue, des images que même la mort ne peut nous enlever un jour. Le désert semble éternel à celui qui l’habite, car il offre cette éternité à l’homme qui saura s’y attacher ». Mano Dayak. Une chose est sûre, toutes ces personnalités qui ont accompagné Etienne Smulevici, ont ressenti à un moment ou à un autre, assis dans le baquet, ces mots de Mano Dayak. Le reste n’est que de la littérature. C’est la part de rêve que Thierry Sabine voulait partager avec le plus grand nombre « Faire vibrer ceux qui partent et faire rêver ceux qui restent ». À cette période, il était loin de penser que des milliers de personnes tremblaient à l’idée de partir la fleur au fusil, sur cette épreuve mythique, ou l’odeur du sable ocre vous envahissait de la tête aux pieds.
C’est bien connu, l’inox ne rouille pas. C’est pourquoi, les derniers Dakar, Etienne les fera au volant d’un camion en 2016 et 2017.
Cette histoire ne pouvait pas se terminer sans endosser l’habit de Manager. Ce costume, il l’endossera de 2018 à 2022 pour la société Escadrar, sur le Dakar. Etienne Smulevici ne »Danse pas avec les loups ! » Ils discutent avec les loups, les lions, les girafes, les dromadaires, les chameaux, les oies sauvages, les singes, les kangourous, les chevaux sauvages, les castors, les éléphants, les ours de Mongolie, les renards du désert, aux cobras des sables, aux scarabés, aux moustiques, aux scorpions d’Egypte… En fait, que des bêtes sauvages et féroces qui attendaient qu’il tombe en panne dans la pampa ! Les sales bêtes !
Après toutes ces frayeurs, Etienne Smulevici fit sa dernière course en 2021, lors des 24 Heures Tout Terrain du Portugal en compagnie de son premier copilote, Daniel Guarato, avec qui rappelez-vous, il avait fait le Paris-Dakar 1983, au volant de leur 504 Dangel. La boucle est bouclée.
Depuis, le baroudeur a raccroché sa combinaison et son casque pour endosser le costume d’organisateur d’événements, liés à l’automobile. Gérant de la société Escadrar, il ne cesse d’organiser à travers le monde, des manifestations évènementielles. Des randonnées en 4×4, en Quad, des cours de pilotage en Sport GT sur pistes glissantes et enneigées, ou encore, sur circuits en monoplace.
Ces terrains de prédilection à l’étranger sont : Maroc, Canada, Albanie, Mongolie, Écosse, Irlande, Madère, Argentine, Sénégal, Portugal, Afrique du Sud, Australie, Tunisie, Sardaigne, Chili, Costa Rica, Pérou, Sultanat d’Oman, Laponie, la Patagonie, Argentine, Uruguay, Panama, Corée du Sud, Botswana, Guatemala…
Nous savons de source sûre, que l’infatigable Étienne prépare avec ses deux copains Gilles David et Yves Morize, un voyage de quatre ou cinq jours au Lac Rose à Dakar, pour organiser un déjeuner avec les anciens pilotes et copilotes du Paris-Dakar. Auteur : Gilles David. Crédit photos : DPPI, Alain Rossignol, Olivier Milon et collection privée.